Dans un contexte agricole en pleine mutation, où l’innovation et les enjeux environnementaux occupent une place centrale, Laurent Lajus, fondateur de Solhead, incarne une approche engagée et pragmatique du machinisme agricole durable. Ingénieur de formation, entrepreneur par conviction, il revient dans cette interview sur son parcours, la création de Solhead, les solutions développées pour le traitement des effluents phytosanitaires et son engagement collectif à travers le Cluster Machinisme porté par Agrinove.
À travers ses réponses, il livre une vision lucide des défis du secteur, de l’impact des nouvelles réglementations à l’essor de l’intelligence artificielle. Une rencontre inspirante pour mieux comprendre les leviers d’action d’une PME française au service d’une agriculture durable.
Un parcours ancré dans le machinisme et l’innovation agricole
Laurent, pouvez-vous retracer votre parcours professionnel jusqu’à la création de Solhead en 2006 ?
J’ai une formation d’ingénieur en génie mécanique, suite à un BTS en bureau d’études. J’ai commencé ma carrière dans différentes entreprises et dans un centre de formation dans l’Aveyron avant de rejoindre pendant 11 ans le CREMAN, le Centre Régional d’Expérimentation en Machinisme Agricole de Nérac, aujourd’hui connu sous le nom d’Invenio. Ce centre était un véritable laboratoire d’innovations techniques pour le machinisme agricole, aujourd’hui Invenio concentre ses applications notamment dans la filière fruits et légumes.
En 2006, lorsque plusieurs centres expérimentaux se sont regroupés, la partie que je développais au CREMAN risquait de disparaître, j’ai alors décidé de créer mon entreprise pour continuer à faire vivre mon expertise.
Quelles ont été vos motivations à vous lancer dans l’entrepreneuriat ?
Ma motivation première, c’était clairement la liberté d’entreprendre. Suite au regroupement des centres expérimentaux, j’avais envie de mettre mes compétences au service du plus grand nombre, j’ai alors créé mon entreprise qui était au démarrage une entreprise de conseil.
Et puis, les opportunités sont arrivées vite. Grâce à une rencontre décisive avec un interlocuteur de Syngenta, nous avons développé ensemble le système de traitement des effluents Heliosec. Ce produit a marqué un tournant pour Solhead, nous permettant de croître rapidement et de structurer notre outil de production à Montesquieu.
Solhead : des solutions techniques pour une agriculture durable
Pouvez-vous décrire les activités de Solhead ?
Solhead conçoit et fabrique un système pour le traitement des effluents phytosanitaires qui s’appelle Heliosec, que l’on a développé avec Syngenta.
Ce produit, vendu sous forme de kit, est homologué et permet aux agriculteurs de se conformer à la réglementation environnementale tout en préservant la qualité de leurs installations. Il est vendu aujourd’hui dans toute la France et dans le monde.
Autour de ce produit phare, nous avons développé toute une gamme d’équipements pour les aires de lavage : potences de remplissage, regards de relevage, déshuileurs…On a souhaité amener notre savoir-faire pour adapter les produits existants à la demande et aux besoins agricoles.
En parallèle, nous avons aussi une deuxième activité : la fabrication de plateformes arboricoles, notamment pour la récolte des pommes. Ce sont des automoteurs très spécialisés, haut-de-gamme, conçus pour accompagner les exploitants sur toutes les tâches, de l’éclaircissage à la taille, ce qui explique que ces machines tournent pendant 11 mois de l’année sur les exploitations.
95 % de nos produits sont fabriqués localement, dans notre atelier. Nous avons investi dans des outils performants, comme une machine de découpe jet d’eau, qui nous permet de travailler l’inox, l’acier et l’aluminium. Cela nous offre une grande autonomie et une forte capacité d’adaptation.
Nous revendiquons un savoir-faire artisanal : nous faisons du sur-mesure pour répondre aux vrais besoins de nos clients.
Aujourd’hui, Solhead, c’est une équipe de 9 personnes, qui travaille sur toute la France, et quelques pays étrangers.
Pouvez-vous nous parler de l’engagement environnemental de Solhead ?
Notre approche environnementale repose sur deux axes :
- Éviter la pollution, en traitant les produits dangereux pour respecter le plus possible l’environnement et pour cela nous proposons un produit homologué auprès du ministère de l’environnement et de l’écologie ;
- Apporter une solution réellement adaptée aux agriculteurs : notre volonté, c’est d’aider les agriculteurs à mettre en place la solution, leur proposer un équipement fiable, qui dure dans le temps, qui soit pratique dans l’utilisation et offre un bon rapport qualité-prix.
Nous voulons que nos solutions soient efficaces, sans être surdimensionnées, pour rester supportables pour l’agriculteur et coller à la réalité de ses besoins. On souhaite mettre en avant le bon produit au bon endroit. C’est cette exigence qui guide notre travail au quotidien.
Une dynamique collective au service de l’innovation
Vous avez participé à la création du Cluster Machinisme Agricole en 2013. Quels ont été vos motivations ?
C’était une suite logique de mon parcours au CREMAN et la continuité de ce que j’avais pu entreprendre. Ce qui m’a motivé, c’est la rencontre avec d’autres gérants d’entreprises.
Le Cluster Machinisme rassemble aujourd’hui des chefs d’entreprise, des partenaires institutionnels, des établissements de formation et des centres de recherche. Son objectif premier est de favoriser les échanges humains et professionnels. Nous nous réunissons tous les deux mois, et ces rencontres sont devenues essentielles pour les membres : elles permettent à chacun de partager ses difficultés, ses expériences, et de trouver un appui collectif. Ce sont des moments de franchise, où l’on peut exprimer librement ce que l’on vit dans son entreprise, sans jugement ni compétition. L’énergie du groupe est précieuse : seul, on est vulnérable ; ensemble, on devient plus fort.
Au-delà des réunions régulières, le cluster permet également d’organiser des salons professionnels, de mutualiser des expertises et d’inviter des intervenants extérieurs sur des sujets divers comme la propriété industrielle, la sécurité ou encore la sous-traitance. Ces échanges enrichissent nos pratiques et permettent de transformer les problématiques individuelles en solutions collectives. Le cluster est un lieu de coopération pragmatique, fondé sur la confiance et la volonté de progresser ensemble.
Vous avez récemment été membre du jury du concours Agrinove. Quel est votre retour d’expérience ?
Dans une expérience précédente, j’étais responsable du concours innovation du Sifel à Agen. J’aime beaucoup ces moments d’échanges autour de projets. Le jury, ce n’est pas qu’un vote. C’est un dialogue, une compréhension du pourquoi et du comment derrière chaque innovation. C’est la dimension humaine et cette envie de connaître les nouveaux projets qui m’ont donné envie d’y participer.
Quels critères sont, pour vous, déterminants dans l’évaluation d’un projet innovant ?
D’abord, il faut que ce soit vraiment innovant, un projet qui sorte des sentiers battus. Pas une énième copie d’un produit existant. Je suis sensible aux projets qui ont un impact réel sur l’environnement, la pénibilité, la cohésion sociale, par exemple. Et puis, il faut que ce soit réalisable. Dans ce qui est présenté, il faut que cela ne soit ni utopique, ni un rêve, l’idée doit pouvoir déboucher sur une solution concrète.
Cette année, c’est un projet autour du bien-être animal qui m’a particulièrement marqué. C’est un sujet complexe dans le monde agricole, mais certains arrivent à trouver un équilibre entre éthique et rentabilité, et c’est passionnant à voir.
Les perspectives pour l’agriculture de demain et pour Solhead
Quelle est votre vision de l’avenir du machinisme agricole ?
Je suis lucide : il est très difficile aujourd’hui d’avoir une vision claire à moyen ou long terme. Nous avons très peu de vision sur l’avenir du machinisme agricole des entreprises françaises. La politique agricole est floue, les réglementations changent sans arrêt. On manque de stabilité pour investir sereinement. Et à l’échelle mondiale, les incertitudes sont nombreuses : guerre en Ukraine, tensions commerciales, concurrence de la Chine ou de l’Inde…
Il y a aussi la montée de l’intelligence artificielle. Elle offre des gains de productivité énormes, mais c’est peut-être aussi un risque pour beaucoup d’emplois. On n’a pas encore mesuré toutes les conséquences de cette transformation.
Comment voyez-vous l’avenir de Solhead dans ce contexte ?
Nous allons continuer à nous adapter. Nous développons des solutions pour l’industrie, avec des produits à forte valeur ajoutée. À l’international, c’est plus compliqué. On essaie de créer des partenariats, comme en Afrique du Sud, mais il est toujours difficile de rivaliser avec les coûts des produits qui viennent de Chine ou d’Inde. On garde donc une stratégie ancrée en France et en Europe, où les réglementations et les attentes environnementales nous permettent de faire valoir la qualité de notre savoir-faire.
Quel(s) conseil(s) donneriez-vous à un jeune entrepreneur qui veut se lancer dans le machinisme agricole ?
Avoir une vraie idée. Ne pas se lancer pour faire « comme les autres ». Il faut proposer quelque chose de nouveau, de différent. Et surtout, il faut s’entourer. Je recommande vivement de rejoindre un réseau, un cluster, une association d’entrepreneurs. C’est en échangeant qu’on affine son idée, qu’on trouve des opportunités et qu’on progresse plus vite.