Le prochain forum d’Agrinove, consacré à l’agriculture urbaine, aura lieu le jeudi 16 novembre prochain à partir de 14h au lycée agricole de Nérac. Afin de nous familiariser avec cette thématique assez méconnue, nous vous proposons ci-dessous l’interview de Pierre Aubignac, qui interviendra lors d’Agrinovembre 2023.
Vous êtes fondateur d’Aquacosy ; pouvez-vous nous présenter cette structure ?
C’est un projet assez vaste de développement autour de l’agro-écologie hors-sol, qui est né en 2016 et a été monté en 2019 avec un autre ingénieur agronome de formation (que j’ai rencontré lors de mes études à Toulouse), Jéremy Le Moinier. L’idée originelle était de créer une structure spécialisée dans l’aquaponie, mais par manque de subvention, nous nous sommes tournées vers l’hydroponie dans un premier temps.
Puis en 2020, nous avons également ouvert un bureau d’études et de recherche car nous étions à l’époque les seuls ingénieurs agronomes dans le domaine de l’agroécologie hors-sol. Il y a beaucoup de demandes en R&D, tant de la part des entreprises privées que du public. Nous recherchons par exemple de nouvelles méthodes pour le traitement de l’eau en sortie de station d’épuration, ou encore sur le développement de solutions agrivoltaïques avec l’hydroponie.
Nous faisons aussi de la formation puisque j’ai participé à la création de modules d’enseignement sur l’agriculture hors-sol en CFPPA (pour des personnes majoritairement en reconversion professionnelle) et à l’ENSAT, l’école d’ingénieurs agronomes de Toulouse dont nous sommes issus.
Enfin, sur le volet plus social, Aquacosy a développé une ferme avec EMMAÜS qui sert de chantier d’insertion pour des publics en grande précarité ; notre ferme pilote sert aussi de lieu de recherche et d’expérimentation.
Vous êtes également administrateur de l’Association Française d’Agriculture Urbaine Professionnelle. Quelle est la réalité de cette forme d’agriculture en France aujourd’hui ?
L’AFAUP est un écosystème de l’agriculture urbaine en France. L’idée est de fédérer et d’accompagner l’ensemble des acteurs de la filière et de réussir à promouvoir et développer l’agriculture urbaine sur le territoire. Je suis administrateur de l’association et Président depuis deux ans maintenant.
Les enjeux de l’agriculture urbaine sont réels pour les adhérents de l’AFAUP. En effet, l’accès au foncier est très complexe en zone urbaine. Les contrats d’occupation des sols sont souvent précaires et il faut dire qu’il peut être plus intéressant pour les villes de faire des logements que des jardins collectifs. Il est donc difficile de vivre de cette seule activité lorsqu’on a seulement 1500 m2 de terrains comme maraîcher par exemple. Ces acteurs de l’agriculture sont donc fréquemment contraints d’innover et d’avoir une seconde activité professionnelle pour composer avec l’environnement urbain. C’est d’ailleurs pour cela que les structures d’agriculture urbaine proposent souvent de nombreuses animations/formations aux urbains par exemple. Il est difficile de concilier toutes ces activités, car cela demande du temps et de la créativité pour faire vivre ces structures, mais le jeu en vaut la chandelle !
Aussi, le nerf de la guerre en agriculture urbaine est le soutien à l’investissement. Les acteurs, qui en grande partie ne sont pas considérés comme exploitants agricoles, ne bénéficient pas d’accompagnement de la PAC car ils ne rentrent pas dans les cases de l’agriculture « classique ». Ils n’ont donc que peu accès à ces financements publics pourtant importants pour le monde agricole, alors même qu’ils rendent pourtant de nombreux services sociaux, environnementaux et nourriciers sur leur territoire.
Un de nos rôles à l’Association Française d’Agriculture Urbaine Professionnelle est de représenter les intérêts de cet écosystème auprès des instances politiques et du grand public et d’initier un changement à cet égard.
Comment définiriez-vous l’agriculture urbaine et quels sont ses enjeux ?
L’objectif de l’agriculture urbaine n’est pas de répondre aux enjeux alimentaires de la ville mais :
- à un objectif social : par le biais de chantiers d’insertion ou de projets dans les Quartiers Politiques de la Ville (QPV). Nous avons constaté que cela apaise énormément les populations, que cela permet de créer du lien social et des études ont d’ailleurs démontré que cela permettait de faire baisser les taux de criminalité dans les villes.
- à un objectif écosystémique : des stations météo mesurent l’impact de l’agriculture urbaine sur l’écosystème et le climat. Les études sont encore en cours mais nous avons déjà constaté une augmentation de la biodiversité et un effet de “cooling”, autrement dit de rafraîchissement des zones urbaines, plus important que celui généré par les parcs en ville.
- à un objectif d’innovation : il s’agit d’un énorme laboratoire à ciel ouvert. Ce type d’agriculture demande d’être très créatif sur les organisations et les nouveaux modèles juridiques, de faire des tests de pratique et d’être innovant car il y a beaucoup de contraintes dans le milieu urbain qui obligent à s’adapter.
En somme, je dirais qu’il n’y a pas d’opposition entre l’agriculture rurale et urbaine, au contraire il peut y avoir un échange d’expériences et notamment des idées de l’agriculture urbaine qui peuvent inspirer l’agriculture rurale.
Ces deux filières sont d’autant plus complémentaires que l’agriculture urbaine pourrait être un tremplin aux vocations dans l’agriculture. Beaucoup de personnes découvrent l’agriculture en ville et cherchent ensuite à s’installer en milieu rural. Elle pourrait donc répondre à un enjeu majeur qui est le renouvellement des générations.
Il est encore temps de vous inscrire à Agrinovembre 2023 :