Le foncier agricole est au cœur des enjeux de transition économique et écologique du secteur agricole. Avec des exploitations de plus en plus grandes, des coûts croissants, et un renouvellement générationnel insuffisant, la question de l’accès au foncier devient un défi stratégique. Lors d’une table ronde organisée à l’occasion du forum Agrinovembre 2024, des professionnels de divers horizons ont partagé leurs perspectives et solutions pour répondre à ces défis grâce à des modèles financiers innovants. Retour sur ces échanges éclairants.
Les défis actuels du foncier agricole
Concentration des terres et accès difficile pour les jeunes agriculteurs
Le marché du foncier agricole évolue rapidement, avec une concentration des terres qui en complique l’accès pour les jeunes agriculteurs. Philippe Tuzelet, directeur général de la SAFER Nouvelle-Aquitaine, observe que la transmission se fait de plus en plus sous forme sociétaire, regroupant terres et outils de production. Cette évolution engendre des montants financiers considérables pour les repreneurs. « Aujourd’hui, plus de 40 % des nouveaux installés viennent de milieux non agricoles, mais ils manquent souvent de ressources financières pour s’engager pleinement », explique-t-il.
Ces défis sont accentués par la nécessité de s’adapter à des exploitations de plus grande taille et par les coûts croissants des équipements et des terres. Les porteurs de projets, souvent jeunes et motivés, se heurtent à des obstacles financiers, compromettant ainsi le renouvellement générationnel en agriculture.
Défis environnementaux et sociaux
Au-delà des enjeux économiques, le foncier agricole est soumis à des pressions environnementales et sociales croissantes. Il est essentiel de concilier rentabilité et préservation des terres. Patrick Grizou, président de Terres du Sud, met en garde contre les exploitations surdimensionnées, qui peuvent être viables financièrement, mais non vivables pour les agriculteurs. « Nous devons éviter des modèles économiques qui, bien qu’efficaces sur le papier, compromettent la durabilité humaine et environnementale », ajoute-t-il.
Les nouveaux modèles financiers en action
La réinvention de la SAFER (Philippe Tuzelet, SAFER Nouvelle-Aquitaine)
Pour contrer ces défis, la SAFER propose des solutions innovantes. Cette société d’aménagement joue un rôle clé dans la régulation des prix du foncier pour éviter la spéculation, en maintenant un prix moyen autour de 6 200 € l’hectare, bien en dessous des niveaux observés dans d’autres pays européens. En Nouvelle-Aquitaine, la SAFER accompagne la transmission de près de 25 000 hectares par an, grâce à des outils comme le portage foncier. Cela permet aux jeunes agriculteurs de disposer du temps nécessaire pour structurer leurs projets et mobiliser des financements.
Importance des coopératives dans la dynamisation des terroirs
Les coopératives, comme Terres du Sud, sont des acteurs clés pour dynamiser les territoires. En s’appuyant sur les données numériques pour mieux comprendre les typologies des exploitations actuelles, elles mènent une réflexion sur l’évolution de leurs modèles qui devront répondre à l’évolution de l’agriculture.
« Nous devons repenser nos approches pour soutenir des exploitations agricoles qui vont probablement s’agrandir, tout en répondant aux attentes des jeunes générations », explique Patrick Grizou. Ces coopératives, véritables pivots locaux, favorisent une approche globale, qui intègre non seulement le foncier, mais aussi les outils de production et la valorisation des produits.
L’accès à l’agriculture sans possession de la terre (Simon Bestel, Fermes en Vie)
Le modèle proposé par Simon Bestel, co-fondateur de Fermes en Vie, offre une alternative innovante à la propriété foncière. Sa structure foncière collecte des fonds citoyens et institutionnels pour acquérir des terres agricoles, qui sont ensuite mises à disposition d’agriculteurs sous forme de location avec option d’achat. Ce système permet aux agriculteurs de se concentrer sur leur activité sans la pression financière immédiate de l’acquisition.
« Une carrière agricole ne se fait plus forcément sur 30 ou 40 ans » souligne Simon Bestel, ajoutant que les agriculteurs peuvent choisir de ne jamais devenir propriétaires ou de quitter leur exploitation si nécessaire. Depuis sa création en 2020, Fermes en Vie a levé près de 32 millions d’euros pour soutenir des projets agroécologiques, permettant ainsi de financer une trentaine de fermes et d’aider une cinquantaine d’agriculteurs à s’installer.
Transformer les modèles économiques : vers l’Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération
Changer de paradigme avec Sébastien Grall (ADI Nouvelle-Aquitaine)
Sébastien Grall, de l’ADI Nouvelle-Aquitaine, met en avant l’Économie de la Fonctionnalité et de la Coopération (EFC) comme une voie prometteuse pour réinventer les modèles industriels et agricoles. L’EFC encourage les entreprises à se concentrer sur l’usage et la valeur générée plutôt que sur la simple vente de produits.
Un exemple marquant est celui d’une entreprise de fongicides qui a basculé d’un modèle basé sur la vente au litre à une offre centrée sur la santé des hectares cultivés. Cette approche réduit les volumes vendus tout en augmentant la satisfaction des clients grâce à une utilisation optimisée et à l’intégration de données agronomiques.
Témoignage du Cluster Machinisme (Jean-Philippe Dupleich)
Dans le domaine du machinisme agricole, Jean-Philippe Dupleich, président de Dussau Développement, illustre comment l’EFC peut être appliquée. Son entreprise propose des machines performantes associées à des services de conseil et de formation pour les agriculteurs. En mutualisant les investissements et en collaborant avec les acteurs locaux, cette approche favorise l’innovation et la durabilité. Cependant, Jean-Philippe appelle à davantage d’accompagnement et de financements pour démocratiser ces solutions.
Perspectives pour le foncier agricole : enjeux et recommandations
Vers une agriculture plus accessible et résiliente
L’accès au foncier doit être repensé pour inclure des solutions adaptées aux jeunes générations et aux nouveaux défis agricoles. Qu’il s’agisse du portage foncier, des coopératives ou de modèles comme Fermes en Vie, il est essentiel de diversifier les approches pour rendre l’agriculture accessible et durable. De plus, des mécanismes innovants, tels que les crédits carbone et biodiversité ou la production d’énergies, peuvent offrir des revenus supplémentaires aux agriculteurs tout en renforçant leur rôle dans la transition écologique.
Appel à une collaboration renforcée entre acteurs
Tous les intervenants de la table ronde s’accordent sur un point : seule une action collective peut répondre aux défis immenses du foncier agricole. Les coopératives, la SAFER, les acteurs privés et les institutions doivent travailler ensemble pour mobiliser les fonds nécessaires et protéger les valeurs fondamentales de l’agriculture française. « Pour réussir, il faut lever des fonds massifs tout en encadrant la spéculation afin de préserver la vocation agricole des terres », conclut Philippe Tuzelet.
Face aux défis économiques, sociaux et environnementaux actuels, l’agriculture française doit adopter des modèles financiers innovants. Les initiatives de la SAFER, des coopératives et de Fermes en Vie montrent qu’il est possible de concilier durabilité, accessibilité et rentabilité. Le succès réside dans l’innovation et la collaboration, indispensables pour garantir un avenir résilient et inclusif au foncier agricole.